![[RP][Etude de l'Huissier] Demeure de Messire Ange - Page 3 081010094430131552596607](https://nsm01.casimages.com/img/2008/10/10/081010094430131552596607.gif)
Décomposé et blêmissant sous les rafales de réminiscences, le visage de l’échevin restait fermé.
La
seule animation perceptible, hormis la carnation érubescente des
pommettes, accusant réception du vin ingurgité à la diable, consistait
en une musculation hachée des mandibules et les yeux hagards qui
semblaient chercher à fixer un point fuyant sur un sol devenu mouvant.
La
voix trahissant une pointe d’inquiétude lui parvenait au gré des nues
embrumant un esprit engourdi d’un chapelet de souvenirs.
<blockquote class="uncited">
C'la
fait il longtemps que la demoiselle a laissé cette missive Tristan ?
Parce qu'y a peut être moyen de ... Enfin je n'sais... </blockquote>
Un
instant, Ange considéra ses vis-à-vis comme un nouveau-né découvrant le
monde. Ne se manifestait nulle trace de compréhension dans ce désert
d’hébétude affligée , qu’exprimait une morte physionomie compassée au
passé décomposé. Des gonds posés à une porte imparfaitement fermée sur
des sutures antérieures, qu’il eut cru à jamais refermée sur les traces
d’une adolescence immolée et s’ouvrait par missive inattendue, sur
cette archive enfouie dans les limbes de l’oubli. Des gonds qui
déployaient la charnière du charnier charnel qui l’avait fait passer de
l’enfance à l’âge adulte, sans transition, déniaisé à jamais sur la
condition inhumaine, par cette déchirure paradoxale entre l’odieux
dégout désespéré, d’une dépravation de soudards dardant leur sauvagerie
innommable et la fragile tiédeur d’une joue enfantine posée contre la
sienne, pour le laisser désorienté, hésitant à jamais entre une
misanthropie rédhibitoire et un reste d’espérance.
Si cette
fillette était bien l’adolescente piqueuse de chevaux, alors elle
pouvait permettre à l’échevin de pacifier ses turpitudes, en lui
donnant la preuve vivante par ce retour inopiné, qu’il avait eu raison
de ne point l’abandonner et de devenir son véhicule vers la survie.
Cette occasion de faire la paix avec lui-même ne lui avait jamais été
donnée et lui-même n’aurait jamais espéré la croiser.
<blockquote class="uncited">
Vous la connaissez Ange ? Qui est-elle ?</blockquote>
La voix de Suzon, rassurante, enveloppante, l’exhorta à sortir des méditations après l’avoir longuement regardée sans mot dire.
Vous
dites ? Bien sur… ma filleule… Ce serait… mais… C’est vite dit… J’en
sais rien moi si c’est ma filleule… Enfin si c’est bien celle que… Oui
bien sur il faudrait en être certains… Je ne sais pas… Comment
aurait-elle pu me retrouver alors que… Ange s’arrêta un instant encore, comprenant l’impasse, considérant l’avalanche d’incohérences à expliquer, d’énigmes à dénouer.
Suzon, c’est une histoire de fous. Je ne suis pas son parrain. Ou alors m’a-t-on considéré comme tel parce que je l’ai…Il
soupira. Comment faire comprendre ses doutes, hésitations et espoirs.
Comment pouvaient-ils comprendre s'il ne leur dévoilait rien de son
passé... Alors, l’élocution laborieuse et la gorge sèche malgré le vin
englouti, l’ivresse tempérée par la sourde émotion Il raconta toute
l’histoire.
******************************************************************************************************************************************************************************************************************************************************************************************************************************
...
Et depuis ce jour ou j’ai quitté le monastère, jamais plus je n’ai revu
l’un d’entre eux. Cette enfant, si elle vit encore, si c’est bien elle,
comment aurait-elle pu retrouver ma trace ? Ces moines savaient si peu
de moi, comment auraient-ils pu l’aider à me retrouver, comment les
a-t-elle retrouvés, par quelle prodigieuse obstination aurait-elle pu
finalement me pister jusqu’ici ? Si près du but elle aurait tourné les
talons pour disparaitre à nouveau ? Allons ça ne tient pas debout… Moi
non plus d’ailleurs ... finit-il, sentant l’alcool plomber dangereusement ses jambes.