L'hebergerie

Quelque peu rassasiée de pitance rassie et reposée d'un repos des plus incommode, l'espiègle avait sillonnée les ruelles de la cité en quête de lieu ou se poser et principalement se réchauffer un instant.
Traits tirés, teint un peu plus blême encore, baluchon et bissac à l’épaule, elle avise prestement l’épigraphe de bois désignant l'hebergerie de la ville.
C’est d’une foulée trop pesante pour une damoiselle, à ce qu’aurait jugé sa rectrice, elle renoue avec le fil de ses pensées atrabilaires:

" Quelle guigne que cette campagne, mon Dieu!
Quelle guigne qu'il faille que je me trouve ici-lieu à l’ instant même ou tous décident d'apparaître en grand apparat!
Reyne ou vétille, elle pourrait tout au moins respecter le repos d’autrui.
Puis cette cathédrale, inutile de songer y sommeiller, jamais vu lieu de culte si couru! Et ces courant d’air, l’architecte a du s’octroyer bien des souffrances pour créer de tels vents en son sein !
J'aurais du demeurer avec mes compères les moutons, quelle sotte je suis..."

Perpétuellement suspicieuse, c'est capuchon couvrant qu'elle passe l’embrasure de l’endroit.
Un regard diligent a l’entour pour jauger l’endroit et individus s'y trouvant, hochement de chef circonspect en guise de saluts.

"Bien le bon jour..."

N'attendant point réponse elle s’oriente d'instinct auprès du foyer, perpétuellement frissonnante de tremblements intempestifs qui paraissent résolus à s'installer sans fin.
Elle dépose son fatras d’une impulsion de soulagement au sol, se saisit d'un siège qu'elle avance avec un empressement transi des flammes, au plus près, avant de s’y effondrer lourdement.

"Du vin je vous prie..." ordonne t'elle à la personne qui se tient à l’arrière du comptoir, sourire timide aux lèvres, avant d’étendre ses jambes glacées et réchauffer ses pieds nus avec ravissement.
Soupirant d'aise à la tiédeur bienfaitrice du brasier, elle se détend, haut du corps à présent calé au dossier, face renversée en arrière que nul capuchon ne couvre plus mais que la crinière de geais en bataille remplace avantageusement...
Si ce n'était sa panse qui poursuit d'avouer disette de moult gargouillis inconvenants, l'instant serait parfait...

Les yeux fermés, elle aurait tente de ronronner si elle fut greffier...
Mais fatigue est compagnon tenace et ses rêveries onctueuses se seraient bien rapidement muées en sommeil si la voix d'un homme ne l'avait faite sursauter fauchée en pleine torpeur.

""Bien le bonjour petite bergère. Voilà que nos chemins se recroise bien vite il me semble?! Vous vivez à Amiens maintenant???"



Une mirette après l'autre sa vue encore brouillée se pose sur le colosse, perplexe...
Elle réprime de justesse un rictus amusé a fin d'arborer une moue faussement boudeuse à l'appellation de bergère.

"Bien le bon jour à vous messire... palefrenier?..."

"Naméo, bergère...tssss..."

"Si vous pensez que nos chemins se croisent trop vite à votre gout, messire, nul ne vous oblige à ma compagnie savez-vous... Puis je vie ou je veux..."

Mais tempérament d'enfant ne sait garder faux courroux bien longtemps, c'est donc un léger rire qui fini d'accompagner ses derniers mots taquins.

"Je suis bien aise de vous revoir messire Ulrich..."

Un sourire affable accompagne ses mots suivi d'un regard en direction de son compagnon de voyage et elle ne peut s'empêcher de railler espiègle:

"Jamais l'un sans l'autre, charmant couple vous faites, force est de l'admettre"

La brune finie par cesser ses plaisanteries innocentes et sourit encore aux derniers mots harangués:

"Viens me rejoindre l'ami! Et invites donc la jouvencelle à notre table, il vous sera bien plus aisé de converser à table"



"Bien le bonjour messire de Witthem... ravie de vous revoir également..." Hoche t'elle la tête avec délicatesse et malice...

"Alors damoiselle, vous joignez-vous à nous? Nous aurons ainsi l'occasion d'être en bien meilleur conditions pour parler que la dernière fois!"
Nous avons fait longue route et comptons bien nous rassasier quelque peu, voudriez-vous partager notre repas?

Roxhanne se redresse lentement sur le siège aux questions de messire attablé. Bien qu'elle ne veuille rien en laisser paraitre, force est d'admettre que l'invitation tombe a point nommé... Il n'aurait été moment plus mal choisi pour jouer de fierté mal placée...

"Avec grand plaisir messire... " Crie son estomac à l'instant ou les mêmes mots franchissent sa bouche.

Palfrenier?!?!?! Moi?!?!?! Ne soyez donc pas si vindicative petite, je ne pensais pas vous offenser! Après tout il est vrai que vous êtes bien libre de vos actes, c'était juste question à votre égard. Maintenant, si vous préfèrez la laine d'Amiens plutôt que celle d'Ermenonville, c'est votre choix!

S'emmitouflant de sa cape par frilosité elle se lève et s'installe en leur compagnie.
Puis elle plonge sans façon un regard pétillant et suave dans celui d'Ulrich posant une main se voulant amicale sur son bras. Subrepticement elle ajoute:

"Ne vous offensez pas de mes plaisanteries stupides messire Ulrich, il ne faut aucunement leur accorder l'importance qu'elle ne méritent pas... je souhaitais simplement vous taquiner..."

Elle replonge alors sa main sous cape avant d'enchainer:

"Ceci dit je ne suis aucunement bergère savez -vous... -Un court temps de réflexion avant d'ajouter- Je ne suis pas grand chose a bien y réfléchir... -Rire moqueur d'auto dérision pour appuyer ses mots- Les moutons d'Ermenonville n'étaient aucunement les miens, ils m'aidaient simplement à voir un peu plus chaud durant les longues nuit d'hiver..."

Elle leur sourit encore avant de jeter un œil investigateur en direction d'une hypothétique venue afin de servir.

"Pour tout vous dire, je me suis dans un premier temps rendue à nouveau en la capitale, mais cette ville m'ennuie toujours aussi profondément... je suis donc repartie en direction du nord car le climat du sud ne me convient guère... Ermenonville est un endroit plein de charme ceci dit il y séjourne la bas personnes que je ne désire nullement importuner ni obliger par ma présence... Puis mon séjour la bas s'est su bien vite... Aussi j'ai repris route en direction du nord... Compiègne tout d'abord mais ne m'y suis plu, puis enfin Amiens, ou j'aurais du prendre quelques renseignements avant de me poser..."

Elle marque un temps d'arrêt avant de reprendre:

"Les courbettes et cohues en tout genre ne sont pas de mon fait, si j'avais su que cette Reyne devait se trouver ici lieu, j'aurais passé mon chemin... La liesse de ces gens à l'approcher de si loin soit t'il me laisse perplexe... d'autant que pour le peu que j'en ai vue, régents ou non, ces gens me semblent fort imbus de leur personne pour des nobles issus de non sang... bref... Ceci n'est que mon avis personnel..."

Elle rive alors son regard tour a tour dans chacun des leur, souriante:

"Et, vous même, messires, que vaut votre présence en ces lieux? Séjournez-vous a Amiens?"

Roxhanne lève sa coupe de concert en leur direction, sourire toujours affable...

Et vous jeune enfant, que comptez-vous faire à part parcourir les routes du Royaume?



Embarrassée plus qu'elle ne voudrait par la question pourtant anodine, la jeune femme baisse un instant les yeux absorbée par la contemplation attentive du recipient entre ses doigts...

"Eh bien.... N'ayant nulle inclination à preter ou vendre mes arrières, si parfaits soient-il, à quelques nobliaux pervers et dépravés par la surabondance de biens de provenance et moralité souvent douteuse... N'ayant aucune motivation à politique quelconque ni à me confronter à la bêtise humaine sous quelque forme que ce soit... N'ayant aucun gout à la manipulation de bas étage, trop simple a employer et de ce fait fort ennuyeuse... Ni récurer porcheries ou voiries de vertus divines ou autres... Etant incapable de me soumettre a hiérarchie même dissimulée tant qu'a ordonnance si glorifiante soit-elle... Ne sachant pas faire grand chose de mes dix doigts... N'ayant pour rare atout qu'un verbe intarissable et un humour pour le moins... dérangeant... Il ne me reste je suppose qu'a... Détrôner Dieu lui même non ?"

Elle rit d'éclats cristallin a ses idioties et plonge ses lèvres a nouveau, espérant par ses fables légères avoir su éluder la question...

La brune remercie d'un signe de tête la personne qui servait et par la même lui permet de mettre fin à la situation quelque peu embarrassante.

Vous êtes en quête de liberté en quelques sortes?! Vous avez bien raison mon enfant, celle-ci n'a pas de prix! Hormis parfois celui de sa vie!



"La vie ne vaut que d'être vécue me semble t'il... Et le prix que l'on veut bien lui accorder... Une vie sans passion est déjà une petite mort à mon sens..."

Rougissant légèrement de donner phrasé si éculé, encore un peu décontenancée par la dernière question, elle continue néanmoins en répondant à Ulrich qui paraissait pour le moins avoir bon appétit. Vu la stature du gaillard, nulle lieu de s'en étonner...

Avez-vous déjà eu l'occasion de rencontrer des gens du cru dans cette bourgade?"



"Que nenni, hormis mes compagnons de basse besogne qui ne sont point bavards au demeurant... Ou alors est-ce moi qui ne comprends pas toujours leur parlé amoché... Possible... Mais cela n'est que mon second jour en cette bourgade... Le temps m'a manqué aux rencontres je l'avoue..."

Elle souriait intérieurement se demandant si l'interrogation était aussi anodine qu'elle n'en avait l'air mais n'y tient plus et faisant totalement abstraction des us qui auraient voulus qu'elle attende que l'on l'y invite, l'affamée se saisit du pain qu'elle porte à sa bouche avec ravissement. Une nouvelle gorgée de vin, la perfection tend parfois vers si peu de choses....

"Vous êtes donc si je ne m'abuse, des amis de mon... 'fin de l'échevin d'Ermenonville, c'est cela ?"

Enchaine t'elle légèrement mal a l'aise mais souriant de voir l'homme se sustenter de si bonne grâce...

C elà fait plaisir à voir, autre bon apétit que l'ogre assis à mes côtés.



La jouvencelle lui sourit chaleureusement pour toute réponse...

Mais dites-moi... Vous connaissez Messire Ange? Ou était-ce là question anodine?



"J'ai vrai don pour me mettre dans des situations impossibles moi... Faudra que j'apprenne à me taire un jour prochain..."

"Disons que... je l'ai connu... Y a de cela fort longtemps maintenant. Lors de mon passage à Ermenonville j'avais envisagé lui rendre visite mais ne connaissait sa demeure bien qu'ayant rencontré sa charmante compagne à plusieurs reprises. C'est en la voyant apparaitre et vous entendant le nommer, le soir de mes frasques stupides à l'encontre de vos chevaux que j'ai su qu'il s'agissait de lui... Il m'aurait été impossible de le reconnaitre et il en va de même pour lui je suppose..."

Elle reprend une gorgée de vin avant de continuer son bavardage embrouillé.

"Ci fait... j'ai eue alors si honte de moi ce fameux soir et de plus sa mine peu réjouit de l'événement... Je n'ai osé me présenter à lui, bien aise que messire Ulrich me propose alors sa croupe, enfin la croupe de son cheval, enfin... Je me comprends... Afin de filer des lieux au plus vite. Depuis je n'ai pas trouvé le courage d'y retourner et me suis contentée de lui laisser missive afin de m'excuser de mon geste avant mon départ..."

Elle reprend son souffle en même temps que du divin liquide, la tête lui tournant déjà un peu... L'épuisement allié au manque d'habitude doublée d'un débit gourmand des privation subies pourraient bien lui jouer des tours...

"Et mis à part du zèlé d'Ermenonville, vous ne connaissez personne? Il n'est point possible d'être seule en ce bas monde."



"Personne dont je desire me souvenir en effet..."

Elle lui sourit avant d'enchainer

"Vous connaissez l'adage, mieux vaut être seul....
Exception faite de mes amis les moutons d'Ermenonville bien entendu, qui ont au moins pour qualité suprême de ne point être contrariant..."

Elle rit un instant avant de river son regard aux couleurs de ténèbres dans celui non moins obscure d'Ulrich, pleine d'une pétillante malice amusée:

"Mais vous même messire Ulrich, contez-moi donc la cohorte de vos amitiés...
Je vous suppose très entouré..."

Elle lui sourit taquine attendant sa réponse avec une impatience espiègle.

La brune, menton calé dans la paume de sa main, verre bien accroché dans l'autre dextre, le dévisage perplexe et attentive.

Elle l'écoute avec attention, voyant certaines images se dessiner au travers des mots qu'il se décide enfin a laisser echaper de cette bouche pour le moins taiseuse jusqu'à présent.

Nous nous sommes connus très jeunes, le Baron et moi. Lui avait fuit sa famille.../...



"Nous avons au moins cela en commun..."

.../... Las de son absence, je pris la route aussi..../...



L'adolescente relève une commissure de lèvres qui pour une fois n'est ni signe de politesse ni façade, mais bel et bien un sourire touché par les paroles de l'homme.

.../... Moi j'ai préfèré rester auprès de mon ami, même si je sais presque à coup sûr où celà va nous menner lui et moi. .../...
.../... Je tiens seulement à ne pas devoir me soucier de qui souffrira de mon absence.



Elle sourit à présent plus ostensiblement, consciente de la gêne que pourrait occasionner l'insistance de son regard, elle reste malgré tout rivée aux pupilles du gourmand, comme sondant le fort intérieur de ce géant qui n'avait en definitive rien de si effrayant...

"Tres belle histoire que la votre bien que fort triste j'en conviens... Malheureusement, il faut avouer que cela va souvent de paire...
Bien belle amitié aussi, Messire de Witthem, vous voici un homme chanceux. Mais je reste persuadée que l'on attire a soi les sentiments que l'on provoque d'une façon ou d'une autre..."

Elle jette un regard jovial au compagnon de route puis reprend reposant ses yeux sur Ulrick.

"Ceci dit.... Vous avez une bien belle âme messire... Et je peux comprendre que l'on puisse ne vouloir susciter l'attachement au même titre de ne pouvoir se permettre de s'attacher soi-même.... C'est tout a votre honneur..."

Elle lui sourit avec douceur en levant sa coupe en leur direction avant de s'apercevoir que celle-ci est a nouveau vide.

"... J'ai bien peur d'avoir loupé mon effet... Trinquer verre vide, voila qui ne se fait point...." Pouffe t'elle de rire.

peut-êre ne suis-je pas loin de l'état animal de ces moutons. Et si celà se confirme, je m'en moque bien



"J'ai bien des difficultés a vous imaginer en tel état messire Ulrick..." Sourit la brune.

que vouloir de plus ici-bas?!



"Peu de choses en effet..." répond elle alors que le vin qu'elle absorbe avec délice commence a brouiller son esprit autant que son discours.

Ulrich a raison, peut-être accepteriez-vous notre hospitalité un de ces jours. Si toutefois, le relans de guerre ne vous font point peur.



"Il me semble qu'il y a toujours une guerre quelque part en ce bas monde... Si nous devions passer notre vie a en avoir peur... Mais je vous remercie de votre invitation messires, pourquoi pas, qui sait ce que nous réserve l'avenir..."

Elle sourit a nouveau aux deux hommes qui se lèvent alors qu'elle se pelotonne sur son siège.

"Et merci pour cet agréable moment a vous deux... Au plaisir..."

Emmitouflée, recroquevillée sur son siège elle gratifie Ulrick d'un ultime sourire avant de suivre d'un regard amical ces deux chamailleurs de bien charmante compagnie.

Dernier soubresaut taquin lancé à la volée avant qu'il ne passe la porte:

"Heyyyy! Je ne suis pas si petite messire Ulrick! Prenez donc garde que je ne sois en mesure de lever le pied assez haut pour vous botter les arrières à notre prochaine rencontre, si vous persister à me nommer ainsi..."

Quelques éclats d'un rire chaleureux accompagne son mouvement de tête pour dernière salutation.

Après un long moment à la limite de l'assoupissement, la toute jeune femme sort de cette torpeur quelque peu avinée et s'étire longuement....

"Je pense qu'une sieste s'impose..."

Elle se lève un peu ankylosée de ce moment passé sans mouvement, se dirige vers son fatras qui reste posté près de la cheminée et s'en empare avant de se diriger vers la sortie, capuche fichée sur le crane.
après une courte hésitation elle dirige ses pas en retour vers la table ou ils ripaillèrent de bon cœur, se saisie de la portion de pain restante et la range dans sa besace.

"Ce serait bête de gâcher par les temps qui courent..."

Elle salue l'assistance et se retrouve a l'air frais cherchant la direction de la cathédrale des yeux, un peu embrumée...

Kram PNJ



L’avance que leur avait versée celui qui les avait engagés leur a permis de se loger dans une auberge tout à fait respectable de la ville, qui s’accorde bien mieux avec leur couverture de marchands du Hainault que les cambuses qu’ils fréquentent d’ordinaire.

Les deux hommes discutent avec un négociant qui se plaint de l'effondrement du prix du grain. Le plus grand des deux est un homme entre deux âges qui se fait appeler Dugueulhan. Ses longs cheveux gris presque blancs soigneusement peignés tombent sur de larges épaules qui trahissent une constitution athlétique. Son partenaire, qui répond au doux nom de Kram, est plus petit et un peu rondouillard mais pas moins robuste ; ses cheveux bruns et courts sont en bataille et tente de cacher leur raréfaction au dessus de son crâne rougeaud. Sa proéminence nasale confère à son visage un air trouble et une brutalité qui contrastent avec la froideur et l’expression pince-sans-rire de celui de son partenaire.

Dugueulhan scrute discrètement la salle, laissant ses yeux et ses oreilles à l’affût de la moindre information, de la moindre opportunité… du moindre danger aussi. Contrairement à son acolyte qui n’écoute le marchand que d’une oreille très distraite ,le Kram lui, les bras fermement croisés sur la poitrine, acquiese à chaque diatribe de l’autochtone à l’encontre du pouvoir en place.

Z’avez bien raison, l’ami. Sont tous pareils ces soi-disant grands hommes… Y disent agir pour not’ bien, mais on voit le résultat ! Y sont beaux à festoyer dans leur palais… Allez, je t’offre une dernière chopine : c’est toujours ça qu’ils auront pas !

Après que le bruit sec des chopes vides ait retenti sur la table, l’homme du cru se lève et remercie chaleureusement Kram et son oreille compatissante avant de s’en retourner d’où il venait, laissant les deux comparses seuls.

Drôle de pays, hein… murmure Dugueulhan d’un ton dédaigneux et moqueur.

Comme tu dis… leur logique me dépasse… M’enfin, on va pas s’plaindre, notre séjour ici nous coûte moins cher que prévu. C’est pas qu’on avait pas les moyens, tu me diras, l’aristocrate a été généreux…mais si on peut en dépenser moins maintenant, c’est mieux, il nous en restera plus pour nos vieux jours.

Les deux hommes partent dans un grand éclat de rire. Dugueulhan sort une petite dague ainsi qu’un morceau de bois qu’il reprend à sculpter tandis que le Kram s’occupe de commander à la tenancière charcuterie, fromage et pichet de vin, non sans gratifier la croupe de la donzelle d’une lourde tape amicale.

Kram avait un peu trop bu, comme à l’accoutumée et raconte des histoires que son partenaire avait déjà entendu cent fois mais l’homme aux cheveux d’argent souriait en coin en écoutant les divagations avinées du Kram. Ce dernier fronce soudain les sourcils, son visage laissant croire qu’il réfléchit à une question de la plus haute importance, question qui ne se fait point attendre.

Il était bizarre son accent, non ? lance-t-il d’un air songeur.

Plait-il ? demande son interlocuteur incrédule.

Bah, le parvenu. L’aristo qui nous a engagé, quoi… Ah… ses beaux atours qui dépassaient de son mantel. Je suis sûre qu’il était richement mis, le bougre. Dommage qu’on ait pas vu son visage. En tout cas, une chose est certaine, l’était pas vraiment d’ici et sûrement pas de notre belle region… répond le Kram en haussant les épaules.

Veux-tu bien fermer la caverne puante qui te sert de bouche avant que je ne t’en arrache la langue ? Souffle Dugueulhan dans un murmure courroucé, son poing resserré sur son couteau bien en évidence. As-tu oublié comment sont traités nos compatriotes ici ?

Les deux hommes s’échangent un regard noir. Puis celui aux cheveux gris brise le silence pesant avant que celui-ci n’attire l’attention sur leur conversation.

De toutes façons, à quoi cela nous avancerait-il de savoir d'où il vient… Bon… et ce vin et cette nourriture, ça vient oui ?

La jeune tavernière apparait quelques instants plus tard, les bras chargés de victuailles typiquement vermandoises. Elle bredouille quelques mots d’excuses en déposant plats et pichets sur la table et s’en va sans demander son reste, la tête basse.

Les deux hommes mangent, l’un lentement et en silence, l’autre se goinfrant bruyamment. Quand il a fini d’engloutir sa part, le Kram se lève en oscillant sous l’effet de l’alcool et détache sa bourse de cuir de sa ceinture afin d’aller régler la note à l’aubergiste.

C’est moi qui régale !... annonce-t-il joyeusement tandis que Dugueulhan en termine avec une épaisse tranche de pain couverte de fromage.

Quand je pense à tout cet argent qu’il nous a proposé le parvenu. Il doit être sacrément noble pour être aussi riche. Et tout ça pour l’enlever la mome là, même pas pour la tuer ! M’font marrer ces nobles à…

[size=150]BLANG ! [/size]

Les poings de Dugueulhan frappent si violemment la table lorsqu’il se lève à son tour que les deux choppes qui y sont posées vacillent un peu.

Je crois que tu as assez bu pour ce soir, l’ami, dit-il à Kram d’une voix glaciale. Il est temps d’aller prendre du repos, ne crois-tu pas ? demande-t-il en écartant légèrement sa veste afin de découvrir à la vue de son partenaire ivre la poignée de sa dague. Je règle la note, veux-tu ? Attends-moi là… Et tandis qu’il passe à côté du Kram, il lui souffle à l’oreille : encore un mot et je te tue de mes propres mains, sac à vin.

L’homme aux cheveux d’argent est prompt à donner au tavernier ce qu’il lui doit et tout aussi prompt à emmener l’ivrogne bavard qui lui sert de partenaire.

Le lendemain, ils quittent l’auberge un peu avant l’aube, tandis que la cité est encore endormie dans ce qui reste de la froideur de la nuit. Ils se séparent, partant chacun de leur côté, s’assurant discrètement que personne ne les suive et se retrouvent aux écuries.

J’ai de bonnes nouvelles, annonce le Kram lorsqu’il retrouve son acolyte. Il baisse alors la voix de manière à ce que seul Dugueulhan puisse l’entendre. Je me suis immiscé dans une conversation. Un cocher dit qu’il l’a aperçue sur la route du nord, elle cherchait un abri j’imagine. Ils repartent dès lors dans les rues de la ville, cherchant encore à comprendre le pourquoi de l’affaire…

Le visage de Dugueulhan s’éclaire d’un petit rictus légèrement sadique.

Parfait, parfait ! Tu es de bien meilleur augure une fois que tu as cuvé, tu sais ? S’exclame-t-il en donnant une grande tape amicale dans le dos du Kram. En route l’ami, nous avons encore du pain sur la planche pour effectuer notre « livraison ».

Les deux hommes éclatent de rire. Ils grimpent sur leurs puissantes montures en sifflant joyeusement puis, sans perdre un instant et sans être suivi par quiconque, ils quittent la cité vermandoise.